Blockfest 1.0 : que la fête continue !

Le Blockfest 1.0 était un évènement intéressant et le premier de son genre en France. Laurence Allard, maîtresse de conférences en Sciences de la Communication IRCAV-Paris 3/Lille 3, sociologue des usages numériques et co-fondatrice de l'association Citoyens Capteurs/CitizenWatt, y a activement participé et nous en parle ici.

Du 9 au 12 juin 2016 s'est tenu chez l'École 42 le BlockFest 1.0, un évènement original et originel à l'initiative d'une équipe polydisciplinaire autour de la technologie blockchain.

Un format pluridisciplinaire

Cet événement est original : son orientation délibérément pédagogique est en faveur du partage de connaissances, de l'apprentissage créatif et du développement collaboratif d'usages de la blockchain.

Le programme était ainsi structuré entre des tables rondes (enjeux sociétaux, etc.), des présentations de projets (par ex., monnaie locale à Paris), des ateliers pratiques (API, code, etc.), des conférences (gouvernance...) et de deux jours - le BlockSprint- dédiés au prototypage de projets par des équipes constituées sur place, entre bonnes volontés et expertises généreuses. Les équipes étaient éclairées par des mentors tout à la fois pointus, didactiques et sympathiques.

Cet événement est également originel en ouvrant la technologie blockchain à des projets non exclusivement monétaires (liberté de la presse, open science, énergie...) et mettant en pratique le principe du smart contract de la DAO, cet hydride d'une économie du contrat social entre crowdfunding, fond d’investissement et fondation.

Des enjeux cruciaux

En tant que sociologue des usages numériques, je suis intervenue à la table ronde sur les enjeux sociétaux ; de plus, je suis observatrice-participante au projet DAISEE dont la mission est l'énergie en pair-à-pair (p2p)... et accessoirement maman d'une petite fille de 9 ans, qui a contribué pendant deux jours durant à une maquette de village de producteurs-consommateurs partageant de l'énergie via une architecture blockchain sous la houlette stimulante de Frédéric d'Incau de @CodesignIt. J'ai pu ainsi mesurer à la fois le degré de foi dans la technologie blockchain et le pragmatisme technique des codeuses, codeurs et mentors.

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Le village modèle de producteurs-consommateurs partageant de l'énergie via une architecture blockchain réalisé par la plus jeune participante du BlockFest (9 ans). Image par l'auteure.

Sir Tim Berners-Lee est souvent cité parmi les intervenants comme l'un des pères titulaires de la blockchain. Cette dernière semble être la promesse d'une ré-architecturation d'un internet décentralisé et d'un réinvention du web en mode p2p grâce à la mutualisation de la puissance de calcul informatique à la fois distribuée et chaînée.

A ces fondamentaux d'une politique de la technologie numérique non monopolisée par les GAFAM et inter-organisée par les usagers du web - que le juriste Lawrence Lessig a synthétisé en 2000 sous la formule à succès "code is law" - s'ajoute avec la brique blockchain le caractère d'immuabilité des transactions via un registre comme l'explique ici matériellement au travers de l'exemple de la corvée de vaisselle le collectif de designers Bam, invité aussi à l'ouverture du Blockfest 1.0.

Cette problématique d'une relative immanence de la gouvernance par le code informatique - comme le projet de Decentralized Autonomous Organization (DAO) présenté par Laura Champion durant le BlockFest - en paraît inspiré, cette utopie d'un constructivisme technique d'un nouveau contrat social tel que le smart contract ont constitué à la fois des points de discussion théorique mais également pratique dans les projets développés.

Le code informatique d'un smart contrat permet d'avoir une "règle commune et un consensus distribué" régissant des transactions via un réseau configuré en blockchain. Les différentes mises en pratique par les équipes participant au BlockSprint ont démontré à quel point cet aller-retour entre les interactions sociales qui définissaient les projets à prototyper (par ex., échanger de l'énergie, faire de la recherche, authentifier des achats, gérer une association,...) et les activités de codage informatique constituaient en tant que telles des situations d'expérimentation démocratique, notamment par les débats qu'ils nécessitaient entre les différents membres des teams. Par exemple, concrétement dans le cas du projet DAISEE, de longues discussions au sein de l'équipe et avec les mentors ont porté sur l'écriture de l'algorithme d'arbitrage entre prosommateurs énergétiques, donc in fine sur les critéres d'échange des tokens ou des ethers (puissance appelée, prix du kWh, etc.).

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L'architecture des noeuds Ethereum du projet DAISEE par un des mentors (Romain Lafforgue). Image par l'auteure.

Expérimenter la gouvernance

Cette dimension expérimentaliste de formes de vie que la technologie modèle en fonction de principes d'intérêt général (que certains projets thématisent autour de la problématique des communs tandis que d'autres s'appuient sur des droits plus fondamentaux comme la liberté de la presse) constitue assurément l'une des réussites de cette première saison du BlockFest 1.0.

La vocation pédagogique de cette rencontre s'en trouve d'autant plus accomplie qu'elle aura permis de faire agir ensemble des générations, des compétences, des aspirations durant plusieurs jours transcendant les appartenances aux mondes socio-professionnels de chacun des participants (comme cet ingénieur d'un industriel du pneu qui rédigera - en tant que simple citoyen avec moi sociologue non codeuse - le cas d'usage du projet DAISEE un samedi durant).

Nous pourrions ici conclure la leçon du Blockfest 1.0 en un slogan : "Code is law but it's up to you!"

Mais cette conclusion ne pourrait être à cette heure que simplement rhétorique car toutes les questions ouvertes lors du BlockFest 1.0 autour d'un smart contract compilé et d'une gouvernance blockchainée rencontrent une épreuve de réalité avec l'épisode de hack de la DAO. Ce dernier évènement suppose de mettre en oeuvre les voies du consensus pour valider une récriture du code dans un contexte que certains jugent en l'état de cette attaque de la DAO quelque peu conflictualisé entre les différentes branches technologiques de la blockchain (Bitcoin, Ethereum...). Une preuve supplémentaire que la technologie blockchain s'avère un laboratoire contemporain des interrelations entre politique et technique, entre démocratie et numérique, un laboratoire que le BlockFest 1.0 a eu le mérite de faire vivre dans le monde physique.

Cet article a été écrit par Rayna Stamboliyska.